Vivre séparément ensemble – Approche juridique et économique
12 novembre 2021« Vivre séparément, ensemble » ou « vivre séparément ensemble »? Une approche sémantique, avec ou sans une virgule, est à l’origine de mes interventions lors de la première partie de la conférence.
La lecture de l’ouvrage démontre que l’aphorisme est correct. Ce qui confirmé par les affirmations de l’auteure, selon lesquelles, « les mutations sociales, culturelles et ethnologiques du monde contemporain ont été à l’origine d’une remise en cause de multiples valeurs, références et pratiques sociétales [1](…). Ainsi au Togo, la plupart des gens aspirent à une vie de couple où règnent le bonheur, la stabilité, la tranquillité, une bonne entente, une harmonie conjugale. Les représentations sociales que l’on a de la femme consistent en une évolution normale qui doit la conduire au mariage. Une femme mariée attire du respect, pense-t-on…[2] ».
Plus loin, s’avèrent édifiantes, les statistiques des infidélités ou adultères concernent aussi bien les femmes que les hommes avec un delta quasiment nul, entre les deux sexes, durant les 5 premières années du mariage[3]…
La dédicace de l’ouvrage « à toutes les femmes qui souffrent de ‘l’incommunication’ dans les couples » peut laisser penser que le problème de communication est la cause essentielle du nouveau cadre de vie à deux, le « vivre séparément ensemble ».
Mais une lecture du Code togolais des personnes et de la famille de 1980 institué par la Loi 80-16 du 31.01.1990 et modifié par la Loi du 29.06.2012 nous fournit une autre piste de réflexion.
Pour aborder l’approche qui m’est assignée, je vais m’inspirer du Code Togolais des Personnes et de la Famille qui reprend des « obligations » juridico-économiques, pour mieux explorer d’autres pistes comme causes probables du « vivre séparément ensemble » pris sous l’angle du couple dont la destinée glisse vers une communauté de vie, mais séparée.
1. Analyse socio-économique
Économiquement, le « vivre séparément ensemble » n’est-il pas à la fois la cause et la conséquence d’une appréhension de la vie à deux telle qu’elle se conçoit au Togo ?
Les articles 36 à 57 du Titre IV sur le mariage du Code togolais des personnes et de la famille précité consacrent une approche économique ou le coût de la « vie de couple » des futurs conjoints.
L’article 36 définit les fiançailles comme une « convention solennelle » non obligatoire (Article 37), mais dont la rupture fautive entraine réparation aux termes de l’article 40 du Cdoe…
Plus loin, l’article 56 définit la dot comme un acte symbolique dont le montant est fixé à 10.000 Francs CFA, environ 15 €, payable aux père et mère de la future épouse, qui se la partagent en cas de dissension (article 57 du CTPF).
Cependant, le caractère non obligatoire et symbolique est vite dépassé par la réalité. Dans la pratique, avant, pendant et après la « vie de couple » les coûts sont proportionnels à la nature et au statut des partenaires ou du couple. Une brève parenthèse pour décrire le tableau social du phénomène de couple, établi, officieux ou marginal :
- Quelques exemples de nature de couple: hétéro, homo, poly amour…
- Quelques statuts de couple: marital, concubinage, simple relation basée sur la permanence, relation occasionnelle voire la relation de « sex friends »…
Les pratiques de la dot, des fiançailles et du mariage sont confrontées à une réalité théorique et une pratique qui consacre des coûts élevés proportionnellement supportables en fonction du statut des partenaires ou de leurs familles.
Il y a ensuite le statut auquel le prétendant doit répondre; études et surtout le diplôme, la situation professionnelle, le statut social avec ce que cela entraîne comme revenus conséquents, logement de standing, moyen de déplacement proportionnel au standing…
Dans ce bref aperçu, nous remarquons que la société définit un cadre: le couple hétérosexuel, ayant un statut socioprofessionnel, avec des contraintes sociales. Ce cadre exclut les personnes du même sexe[4], voire d’origine ethnique différente, de statut socio professionnel différent, puisqu’une femme médecin ou une avocate ne peut avoir comme compagnon voire épouser un menuisier ou un chauffeur de taxi…
Il apparait donc que l’approche économique ou plutôt socio-économique de la vie de couple est une des clés de la problématique. Je qualifie cette première approche de causes ou de freins socio-économiques au « vivre ensemble en couple ».
Ensuite se pose le problème socio-culturel ou de la définition des cadres de références psychologiques. Quelle est la raison profonde d’une union ou d’une vie en couple?
Autrement pourquoi doit-on « se marier »?
Ce marie-t-on parce que le mariage est une représentation sociale de la vie de couple, comme norme réglementée et codifié ? Auquel cas, les éléments de ce cadre ne méritent-ils pas d’être redéfinis ?
Les trois (3) exemples sur la dot, les fiançailles et le mariage induisent des conditions économiques contraignantes pour les couples. Les remplir permettent d’avoir un statut social. Ne pas pouvoir les remplir vous exclut d’un quelconque statut.
En a-t-il toujours été ainsi dans les sociétés traditionnelles ?
Dans le cadre de la préparation du thème, un petit sondage a été effectué auprès de six (6) couples hétérosexuels de togolais vivant à Lomé dont 3 exemples sont livrés :
– Dans le 1er couple, le mari explique avoir épousé une intellectuelle, car bon pour son image et en plus de l’éducation, il était certain qu’elle ne pouvait le tromper. Ce couple exemplaire sous toutes les coutures cache un mari violent et une femme qui sauve l’apparence en permanence.
– Dans le second couple, le mari justifie son mariage avec une femme, dont au départ ses parents ne voulaient pas, mais qu’il a pu convaincre, car la position de la belle-famille lui permettait d’accéder à un meilleur statut social… Ce que la femme a découvert.
-Dans le dernier exemple, la compagne explique avoir choisi son compagnon, parce qu’il lui fallait « un géniteur », en plus de la pression sociale et familiale. Elle avoue avoir été et être infidèle…
Est-on en couple par sentiment ou comme cela apparait de plus en plus pour répondre à une satisfaction de besoins plus socio-économiques que sentimentaux ? Il est évident que si nous nous référons à la pyramide des besoins de Maslow, reprise d’ailleurs dans l’ouvrage, la réponse serait affirmative.
2. Qu’en est-il sous l’angle juridique ?
Le code togolais des personnes et de la famille de 1980 pourtant avant-gardiste mérite d’être nettoyé sous le prisme de l’égalité homme/femme pour faire sauter ou adapter les verrous économiques des fiançailles et de la dot. Ce Code institue une égalité en droit entre les enfants et un traitement égalitaire entre les « co-épouses autorisées », avec le consentement de la première épouse (le CTPF prévoit un mécanisme d’option monogamique ou polygamique au moment du recueillement des consentements devant l’officier de l’état civil).
Mais alors, pourquoi même après un mariage sous l’option monogamique, des hommes arrivent à prendre d’autres épouses à l’insu de la première ou en s’affranchissant de son autorisation ?
La violation du statut juridique du couple marié avec des conjoints résidant sous le même toi, obligés de partager le même lit, de satisfaire à leurs besoins sexuels mutuels et de subvenir aux besoins du ménage, est-elle la conséquence d’une confusion entre le but social de la vie conjugale et le poids social dans la société moderne?
A mon sens, les causes des ratées voire de l’échec du « vivre ensemble en couple » consacrant le « vivre séparément ensemble » trouvent leur explication dans une conjonction de plusieurs facteurs: la tradition, le poids des religions et l’héritage de la colonisation consacré par un code civil des personnes et de la famille.
Il me semble donc qu’au-delà de « l’incommunication » dans la vie conjugale, comme cause du « vivre séparément ensemble » se pose aussi la question du fondement et de la raison du mariage.
Pourquoi se fiance-t-on et se marie-t-on et quel est le rôle social du mariage ? Les philosophes et sociologues du panel répondront mieux à cette double interrogation.
Juridiquement, la motivation du mariage est la formalisation d’un amour consacré par un acte traditionnel, religieux ou mieux civil, ce dernier créant un réel statut juridique. Mais le « vivre séparément ensemble » nous ramène à la réalité ; que faire lorsque le partenaire est handicapé par les contraintes sociales décrites précédemment et de nature à transformer une union basée sur des sentiments, en un investissement pour sauver des apparences sociales ?
Quid du ou de la partenaire qui se marie pour entretenir son statut social et qui opte pour le « vivre séparément ensemble » à défaut d’être dans une union libre, une cohabitation légale ou un PACS, autres formes de vie en couple avec moins de contraintes sociales et économiques ? Enfin, le « vivre séparément ensemble » n’est-il pas le glissement du mariage civil et/ou religieux vers une union libre qui ne dit pas son nom ?
Que faire face au « vivre séparément ensemble » par sentiment, si un seul conjoint maintient encore la flamme ou par besoin social ?
D’une part, le Titre IV du Code togolais des personnes et de la famille nous motive à aborder la réflexion sous le prisme de l’égalité. Tout en étant avant-gardiste en 1980, le Code consacre un rôle prépondérant au partenaire masculin qui peut « … contracter un nouveau mariage en cas de stérilité définitive médicalement constatée de celle-ci [5]», c’est-à-dire de l’épouse. Quid de la stérilité médicalement constatée de l’homme ? Quant à la question de la dot, ne consacre-t-elle pas un assujettissement voire un « prix de la femme » ? Certes il est courant que le partenaire reproche le « cout » élevé de la dot payée pour une épouse qui finalement ne peut pas entretenir un ménage ou satisfaire ses besoins sexuels, mais inversement, l’épouse aussi peut reprocher à son époux de n’avoir pas ou pu payer l’entièreté de la dot. Une redéfinition de la dot peut-elle être une approche de solution ?
Encore une fois, le poids de la tradition, la représentation occidentalisée du mariage avec des « ingrédients » socio-culturels et religieux assurent la perdition des partenaires qui pensent se marier pour la vie, « jusqu’à ce que la mort nous sépare » dit la chanson.
D’autre part, il me revient de suggérer aux sociologues et aux philosophes de promouvoir une éducation sociale ou civique tirant son fondement de l’environnement socio-culturel togolais, avec en toile de fond les permanentes questions de l’approche anthropologique de la dot et la définition sociologique du mariage.
Comme je le fais à chaque conférence, nos réflexions doivent être suivies d’action. Afrology et les Dogons devront explorer l’idée d’une « Caravane du citoyen » pour sensibiliser et créer de nouveaux cadres de références et de réflexion …
3. En guise de conclusion.
Sous le joug de la tradition et de la « condition féminine » induite par certaines cultures, je pense, les femmes paient les pots cassés de situations en réalité inhérentes à l’évolution de notre société. Il nous revient alors de contribuer à une meilleure égalité en droit matrimonial, en nous interrogeant sur le fait qu’être en couple ne signifie pas forcément avoir le même statut social ou être de la même origine ou encore avoir les mêmes objectifs de vie, mais surtout et je cite une amie et mentor Detyka Amegee, « s’adapter l’un à l’autre pour mieux partager ».
Noviti Spero Houmey
Secrétaire Général, Afrology Group
Conférence du 31 Octobre 2021
[1] « Vivre séparément ensemble. Paradoxe de la vie de couple au Togo », Mme Afiwa Pépévi Kpakpo-Lodonou, Etudes africaines, série sociologie, L’harmattan, 2017. Page 12
[2] Page 13, opt.cit.
[3] Page 112, opt.cit.
[4] L’article 41 du code togolais des personnes et de la famille précise que « le mariage est l’acte civil public et solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union légale et durable… »
[5] Article 50 du CTPF