Médecine traditionnelle africaine

Médecine traditionnelle africaine

12 septembre 2021 0 Par Cité Dogon

A PROPOS DES PROCEDURES EXPERIMENTALES DANS LA MEDECINE TRADITIONNELLE AFRICAINE

(Au 8e congrès de la Société de philosophie des sciences, Université de Mons, 8-10 septembre 2021)

En reprochant à l’anthropologie médicale et à l’ethnomédecine leur penchant pour « les schémas diffusionnistes » et « les typologies tranchées », Marc Augé (1986 ; 2004) a pensé, avec raison, que l’anthropologie de la maladie doit  incarner un programme contraire ; un programme de recherche devant contribuer à clarifier le débat sur la rationalité des « croyances primitives », ou plutôt la rationalité des savoirs positifs, rangés dans le registre de ce que Claude Lévi-Strauss avait appelé la « pensée sauvage ». Un débat dont on sait qu’il est souvent, dans les littératures qui ont promis son renouvellement ou sa discussion, sous le pouvoir ‘malicieux’ du great divide et du culte des typologies épistémiques rigides et tranchées.

En constatant que, dans les sociétés africaines où fonctionnent encore massivement, parallèlement à la médecine conventionnelle, la médecine traditionnelle, la maladie est perçue, tout à la fois, comme un désordre social ou méta-social et un désordre dans le corps biologique souffrant, l’anthropologie de la maladie est une avancée, en la matière. Mais il reste que, comme M. Augé (1994) a bien fait de le souligner, « c’est uniquement dans la mesure où la maladie est, sous certains aspects, également sociale dans divers types de sociétés que l’on peut en parler comme d’un phénomène anthropologique significatif ». Cette observation, nous semble-t-il, n’est pas à sous-estimer lorsqu’on étudie, d’un point de vue épistémologique, les médecines traditionnelles. Car une lecture qu’on peut en faire, est celle qui retient qu’elle peut signifier qu’en étant, en priorité, dans les schèmes épistémiques de l’anthropologie sociale, des travaux d’anthropologie de la maladie prennent, malheureusement, les médecines traditionnelles comme un axe de différences (N. Sindzingre, 1983).

Pour sortir de l’inconsistance de cette autre version de great divide, implicite au moins dans bien de travaux, au profit de l’idée que les médecines traditionnelles africaines constituent, non pas un axe de différences mais un axe de variations, il faut interroger, d’un regard épistémologique, éprouvé par des données ethnographiques sur les pratiques médicales, le rapport entre le justificatif social ou méta-social de la maladie (étiologie causale) et les procédures naturelles et savantes du soin du corps biologique souffrant. Sans doute, en interrogeant ce rapport, non rigide en réalité, entendu comme celui d’une triple logique (notamment une logique des différences, une logique des références et une logique de l’évènement), M. Augé a raison de retenir qu’en général, dans l’exercice de la médecine traditionnelle, il y a une certaine relativisation du statut de l’étiologie causale. Dans la mesure où l’étiologie causale, dont le diagnostic fa et les réparations rituelles sont un exemple chez les peuples qui ont en partage le panthéon vodu en Afrique de l’ouest, fonctionne, concrètement dans la prise en charge médicale de la maladie, comme un simple principe de cohérence, dont l’enjeu est de relier et réconcilier le corps souffrant du patient avec les forces sociales, y compris les ancêtres et les dieux.

Nous retenons la position de la relativisation du statut de l’étiologie causale, parce que, tout en émergeant du champ de l’anthropologie de la maladie, elle ne peut laisser voir toute sa portée qu’en étant un programme de recherche épistémologique. Car, une ethnographie des pratiques de médecine traditionnelle, focalisée sur la logique de l’événement, semble donner raison à une démarche de relativisation de l’étiologie causale. Elle peut permettre, alors, une véritable épistémologie des procédures expérimentales, qui fonctionnent, de façon irréductible, dans les médecines traditionnelles africaines. 

Dans la communication proposée, ce que montrent, en particulier, des données ethnographiques sur les pratiques de médecine traditionnelle, collectées dans les régions maritime et centrale du Togo, c’est que l’étiologie causale, fortement présente dans les médecines traditionnelles, a toutefois une expression faible. Car la position que les données ethnographiques autorisent est dans l’idée selon laquelle la logique d’efficacité, ayant une fonction d’épreuve pour les formes de diagnostic et les procédures de soins, elle ne donne, apparemment, de consistance a priori à aucune alternative. Ce que les données collectées montrent c’est qu’une alternative de diagnostic et de procédure de soin ne négocie sa consistance et sa reconnaissance que par des preuves de son efficacité, des preuves a posteriori, donc. Et les preuves a posteriori, c’est connu, sont la caractéristique de toute procédure expérimentale. C’est parce qu’en réalité la représentation de la maladie et de l’art de soigner, dans les sociétés traditionnelles africaines, tout comme ailleurs, accorde, dans les pratiques médicales, une place réelle aux preuves a posteriori, que paraissent irréductibles les connaissances et procédures naturelles ou expérimentales, en matière du soin du corps biologique.

Malgré son niveau d’élaboration, non comparable à celui des sciences médicales contemporaines (on sait qu’une vérité ou une pratique savante a toujours une consistance historico-contextuelle), on ne peut, dans l’absolu, tenir ce savoir médical, fait de la connaissance du corps biologique, de la psychologie et des plantes, comme n’étant que de l’ordre du magico-religieux et de l’empirisme collectif. 

Ce qui est proposé, dans la communication, c’est une épistémologie de la méthode qui met en exergue, à partir de quelques arguments principaux, l’irréductibilité des connaissances et des procédures expérimentales dans les médecines traditionnelles d’Afrique. A partir des données collectées, le constat est réel que l’accent excessif mis, par l’anthropologie sociale elle-même, sur l’ancrage de la maladie dans les croyances religieuses, occulte le statut irréductible des connaissances et procédures médicales naturelles. L’approche épistémologique peut débrouiller, dans la représentation de la maladie, le rapport non rigide, en réalité, entre l’étiologie causale et l’étiologie naturelle. Elle permet, alors, de voir les pratiques africaines traditionnelles de soin, non pas comme « un axe de différences » (Nicole Sindzingre, 1983), mais plutôt comme un axe de variations de la médecine. Une telle approche, in fine, autorise, à propos de la médecine traditionnelle africaine, une exploration de connaissances et des procédures expérimentales (diagnostic et traitement à partir d’une connaissance de la flore, des vertus médicinales des plantes, de corps animal et humain, de la personnalité de l’individu).

Dans le sens de ces arguments, il est considéré que l’étude des médecines traditionnelles africaines peut apporter une variation dans l’histoire de la méthode expérimentale. Une telle variation de la méthode justifie le choix de la notion de procédure expérimentale, en lieu et place de celle de méthode expérimentale.

Procédures expérimentales, de quoi peuvent-elles être le nom dans les médecines traditionnelles en Afrique ? Le soin, dans les institutions sanitaires dans les traditions africaines, repose éminemment sur la connaissance du corps et des plantes.  Les mythes et les légendes sur la médecine tournent autour d’images qui montrent que l’observation et l’exploration de la flore, de la faune, des minéraux, des animaux de procédures de connaissance. Selon les mythes, la divinité Aguè, symbole de la médecine, est également la divinité, maître de la brousse, la flore et la faune. Les mythes disent que les animaux sont les premiers connaisseurs des plantes ; et les premiers humains qui ont la connaissance des plantes sont les chasseurs.

Ces mythes et légendes parlent plus que les mots par lesquels ils sont servis à l’interlocuteur. Ils sont des images fortes qui expriment l’idée que la procédure d’utilisation des plantes, l’expérience du médecin en matière d’utilisation des plantes, repose sur l’observation de la nature, notamment des animaux et des plantes.  Il a été noté, à partir des données recueillies, que l’innovation d’un médicament à base de plante, vient d’une procédure qui combine l’expérience de la connaissance des vertus des différentes parties de la plante, l’observation des usages divers des plantes (recette de cuisine, expérience de pâturage, intoxication), la variation des conditions de préparation des plantes (à froid, à l’eau chaude, incinération), les tests sur les différentes parties de la plante (racine, écorce, feuille, jeune feuille, fleur, fruit).

Yaovi Akakpo, Université de Lomé

Congrès 2021 de la Société de Philosophie des Sciences

Le VIIIe congrès de la Société de Philosophie des Sciences se tiendra à l’Université de Mons (Belgique) du 8 au 11 septembre 2021.

Le thème du congrès 2021 sera : Sciences et scientificité.

Cependant, toute proposition de contribution relevant de la philosophie des sciences sera examinée.

Argumentaire

Science et pseudoscience

La distinction entre science et pseudoscience a toujours été une question centrale en philosophie des sciences. La recherche de critères qui permettraient de formuler cette distinction a d’ailleurs souvent permis des avancées importantes dans le domaine de l’épistémologie.

Pour bien cerner la frontière entre science et pseudoscience, il est nécessaire d’identifier sur quels critères elle se construit. Si les notions de méthode ou de vérité/fausseté ne sont pas étrangères à la pseudoscience, elles ne sont pas suffisantes pour la différencier ou la délimiter. Et on ne peut pas non plus ramener la question de la distinction à la thématique de la manipulation et des intentions, car la plupart des fondateurs et adeptes des pseudosciences le sont de toute bonne foi. La question n’est déjà pas simple en ce qui concerne la science établie et reconnue, mais se corse particulièrement pour ce qui est de la nouvelle science qui n’a pas encore acquis droit de cité et qui se distingue pourtant aussi des pseudosciences dans la mesure où elle donnera lieu, mais dans le futur, à de la science. Or, c’est souvent en s’appuyant sur le futur et sur le fait que des théories révolutionnaires n’ont pas souvent été immédiatement admises dans le passé (ce qu’on appelle parfois le syndrome de Galilée) que les pseudosciences revendiquent le statut de sciences à part entière.

La philosophie des sciences a donc deux raisons majeures de s’intéresser à cette problématique. Du côté pratique, cette approche critique permet de construire des outils afin de désamorcer ces théories pseudoscientifiques, outils dont l’efficacité est d’ailleurs matière à débats. Du côté théorique, ces sujets sont en quelque sorte des cas d’études qui mettent en évidence les avantages et les inconvénients des différentes approches épistémologiques. La question des pseudosciences est donc d’un grand intérêt en philosophie des sciences. En tant qu’objet d’analyse, elle permet notamment de questionner la méthodologie scientifique, d’éclaircir le rapport à la vérité des théories, d’interroger le statut de preuve ou d’analyser la formation et la remise en question du consensus dans la communauté scientifique.
Cette thématique n’est pas nouvelle, mais elle revêt une actualité particulière à l’heure des réseaux sociaux omniprésents et de l’accès généralisé à un immense réservoir d’informations, dans la mesure où les théories pseudoscientifiques y trouvent un terrain particulièrement fécond pour se développer. On pensera aux récents débats à propos du déremboursement de l’homéopathie en France, qui montrent que la distinction entre science et pseudoscience est loin d’aller de soi.

Science ouverte, accessible, participative

La généralisation de l’accès à internet et plus généralement aux outils informatiques a aussi profondément changé la manière dont la science se fait et est perçue. Les modes de publication d’articles scientifiques ont drastiquement changé, les revues, désormais présentes en ligne, ont gagné en visibilité et en accessibilité et l’on voit émerger une véritable culture de l’open source qui tend à renforcer la cohésion d’une communauté scientifique mondiale. Un exemple de changement important apporté par ces technologies à la méthodologie scientifique est la publication de résultats négatifs. Ce type d’articles était il y a peu très marginal, les chercheurs souhaitant rarement entamer un long processus d’écriture aboutissant souvent à un refus de publication pour annoncer qu’ils n’avaient pas obtenu les résultats escomptés. Aujourd’hui, la diversité des possibilités de publications a permis l’apparition de journaux spécialisés en résultats négatifs (comme la revue Negative Results), ce qui permet la remise à l’honneur de l’un des critères de scientificité généralement considéré comme central dans la définition de la science, en l’occurrence la réfutabilité.


L’augmentation de la masse de données disponibles, ainsi que la facilité à avoir accès à la littérature scientifique, à la partager et à la faire circuler a aussi changé la manière dont la science est perçue par le grand public. La vulgarisation scientifique, autrefois réservée à des professionnels de la communication scientifique et très coûteuse à produire, est maintenant souvent exercée par les chercheurs eux-mêmes grâce à des plateformes comme YouTube qui mettent en relation directe les scientifiques avec le grand public. C’est donc l’accès à toute la culture scientifique qui s’en trouve renforcé, et qui soumet ainsi la science au test de la clarté explicative, véritable test de la clarté de la conception des scientifiques eux-mêmes, puisqu’on le sait bien, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… ». La science participative, autre exemple de pratique qui a récemment connu une rapide expansion, peut mettre à contribution des milliers d’internautes qui, chacun en exerçant une tâche simple, permettent de collecter des données importantes, parfois menant à des découvertes majeures. On pourrait en conclure que la science est véritablement une méthode et non un métier, si les apports des non-spécialistes sont tout aussi pertinents que ceux des scientifiques. Toutefois, on peut aussi y voir une perte des garanties de sérieux souhaitées.


En effet, les initiatives rigoureuses (comme celle de la mise en commun des données de Hubble par la NASA) restent marginales et on ne peut nier un certain repli des scientifiques dans une technicité qui peut parfois nuire à leur prise de recul, ainsi qu’une désertion du terrain de la vulgarisation que s’empressent d’occuper les pseudosciences. Entre ce niveau technique inaccessible sans prérequis et le niveau sursimplifié (au risque d’une déformation des concepts corrects) auquel se situe la majorité de la vulgarisation, on peut se demander à quoi devrait ressembler et comment promouvoir un niveau intermédiaire qui permette véritablement à tout-un-chacun d’avoir une compréhension profonde des mécanismes à l’œuvre dans le monde qui l’entoure. La demande pour ce niveau intermédiaire est là, en témoignent les nombreux vidéastes dont les chaînes culturelles fleurissent sur les plateformes en ligne, ainsi que l’abondance des rayons de livres scientifiques dans les librairies. Toutefois, ces réponses spontanées à la demande ne sont pas toujours adéquates et mettent en exergue la nécessité de clarification théorique des critères de scientificité, afin de permettre leur démocratisation.

Enjeux imposés par l’évolution des pratiques scientifiques

Par ailleurs, la ré-évaluation des savoirs qui repose notamment sur la reproduction des résultats et s’étale sur des échelles de temps longues est réduite par la course aux publications (« publish or perish »), miroir de l’incitation à la productivité qui règne dans les autres domaines de la société. De plus, à la fois la transmission et l’exploration sont conditionnées par des phénomènes de mode favorisant certains sujets attrayants (ou débouchant sur de possibles applications technologiques) au détriment de sujets moins valorisés, ce qui mène à des inégalités dans les financements. La recherche de financements devient partie intégrante du travail de chercheur, allant parfois jusqu’à remplacer complètement son œuvre de recherche. Ces contraintes sociologiques et économiques appliquées sur la communauté des chercheurs sont-elles intrinsèques à toute pratique de la science et remettent-elles en question l’objectivité de la science elle-même ou peut-on en purifier la pratique par une réaffirmation théorique des conditions nécessaires à la production d’un savoir scientifique ?


On peut également citer certaines initiatives qui s’opposent à ces tendances, comme les données ouvertes susmentionnées ou le courant de la slow science. Sont-elles un symptôme de conservatisme réticent au progrès rapide de la science ou, au contraire, une manière de contourner des obstacles déguisés en progrès ?
La question de la scientificité est, par la diversité des aspects qu’elle renferme, non seulement très actuelle, mais un enjeu majeur de notre époque.

LES 16 MEMBRES ELUS DU NOUVEAU CONSEIL D’ADMINISTRATION

DE LA SOCIETE DE PHILOSOPHIE DES SCIENCES (SPS)

•Yaovi AKAKPO (Université de Lomé)

•Vincent ARDOUREL (CNRS Paris)

•Sébastien DUTREUIL (CNRS, Aix-Marseilles)

•Juliette FERRY-DANINI (Université Catholique de Louvain)

•Elodie GIROUX (Université Lyon 3)

•Thierry HOQUET (Université Paris Nanterre)

•Florence HULAK (Université Paris 8)

•Raphaël KÜNSTLER (Université Toulouse 2)

•Maël LEMOINE (Université de Bordeaux)

•Annick LESNE (CNRS Paris)

•Johannes MARTENS (CNRS Paris)

•Anne-Lise REY (Université Paris Nanterre)

•Christian SACHSE (Université de Lausanne)

•Olivier SARTENAER (Université Catholique de Louvain)

•Youna TONNERRE (Université de Rennes)

•Frida TROTTER (Université de Lausanne)